Maison Maurice-Lasalle, Laurence Fleury

Par Laurence Fleury, conseillère en patrimoine bâti

Congrès annuel de Maisons anciennes du Québec et conférence automnale de la FHQ

En tant que ressource mutualisée entre la Fédération Histoire Québec et Maisons anciennes du Québec (auparavant Amis et propriétaire de maisons anciennes du Québec), j’ai la chance de prendre part aux activités des deux organismes et de constater la richesse des échanges qui s’y déroulent. Pour cette chronique du mois de novembre, je vous propose un retour sur deux événements marquants des dernières semaines. D’abord le congrès annuel de Maisons anciennes du Québec, puis la formation de la FHQ Patrimoine bâti : reflet de notre culture, animée par François Varin.

Au cœur de la Ville de Joliette

Les 18 et 19 octobre derniers, les membres et le personnel de Maisons anciennes du Québec se sont réunis dans la magnifique Ville de Joliette pour une fin de semaine entièrement dédiée au patrimoine bâti résidentiel. N’ayant jamais eu l’occasion de visiter cette ville auparavant, j’ai été charmée par la beauté de son centre-ville et par l’élégance de ses rues résidentielles. Adepte de course à pied, j’ai pu profiter des premières lueurs du matin pour découvrir la richesse architecturale de Joliette à mon rythme, au fil de ses quartiers paisibles.

Le choix de Joliette comme ville d’accueil s’est avéré particulièrement judicieux, puisque la ville regorge d’une richesse patrimoniale exceptionnelle. Fondée en 1823 par l’homme d’affaires Barthélemy Joliette, la localité portait d’abord le nom de L’Industrie, en référence aux nombreuses entreprises qui y ont vu le jour à l’époque. Ce n’est qu’en 1864 que le village adopte officiellement le nom de Joliette.

Marquée par son passé industriel, la ville présente aujourd’hui une grande diversité architecturale, où se côtoient bâtiments industriels, maisons bourgeoises et édifices religieux. Cette variété témoigne de l’évolution historique et économique de la région, tout en illustrant son importance comme chef-lieu de la région de Lanaudière.

La première conférence du congrès, animée par Jean Chevrette, nous a permis de découvrir l’héritage du couple d’architectes Alphonse Durand et Marie Schwerer. Ensemble, ils ont conçu les plans de plusieurs maisons et bâtiments emblématiques de Joliette, encore bien présents aujourd’hui dans le paysage urbain.

Le patrimoine bâti joliettain se distingue notamment par la prédominance de deux styles architecturaux, soit le style néo-Queen-Anne et le style shingle.

Le style néo-Queen-Anne, popularisé aux États-Unis entre 1880 et 1910, n’a en réalité aucun lien avec la reine Anne d’Angleterre. Il s’inscrit plutôt dans la période victorienne, caractérisé par une ornementation abondante, des décorations élaborées, des façades colorées, ainsi que par la présence fréquente de tourelles et de vérandas enveloppantes. Les prouesses technologiques de l’époque rendent les matériaux de construction plus abordables, ce qui en retour rend l’ornementation des maisons plus accessible.

Maison Josaphat-Gareau (style Néo-queen-anne) – Jean-François Rodrigue 2006, © Ministère de la Culture et des Communications

Quant au style shingle, il s’impose dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle, sous l’influence des enseignements de l’école d’architecture de la Nouvelle-Angleterre. Bien qu’il découle du style néo-Queen-Anne, il s’en distingue par son esthétique plus sobre et moins ornementée. Sa principale caractéristique réside dans l’usage de bardeaux de bois (shingle en anglais) couvrant une grande partie des surfaces extérieures, ce qui lui confère une allure à la fois unie et élégante.

Résidence William-Copping (style Shingle) – Laurence Fleury

Le patrimoine au cœur des priorités municipales

En découvrant la beauté des lieux et la qualité remarquable de la conservation du paysage patrimonial joliettain, je n’ai pu m’empêcher de m’interroger sur les raisons qui ont permis à cette ville de préserver son patrimoine face aux pressions de l’expansion urbaine. Dans le cadre de mon travail, j’observe souvent des localités qui privilégient le développement économique ou la modernisation des infrastructures au détriment de leur héritage architectural et historique. Qu’est-ce qui rend donc Joliette si différente?

C’est lors de la seconde conférence de la journée, animée par Dave Roy, directeur des affaires socioéconomiques et de l’aménagement du territoire de la Ville de Joliette, que nous avons pu découvrir les nombreux efforts entrepris par la municipalité pour préserver son patrimoine bâti.

À la suite de l’adoption de la nouvelle Loi sur le patrimoine culturel en 2012, la Ville de Joliette s’est rapidement positionnée en faveur de la protection du patrimoine urbain, en adoptant un plan d’action visant à encadrer sa conservation. Ce plan jetait les bases des conditions de préservation applicables aux bâtiments, à l’aménagement paysager et aux enseignes commerciales du centre-ville.

S’est alors amorcé, en 2013, un vaste chantier d’identification des immeubles présentant un potentiel patrimonial, accompagné d’une recherche documentaire approfondie afin de réaliser et d’adopter un premier inventaire des bâtiments d’importance. Ces démarches soutenues ont mené à la citation officielle de 46 bâtiments, une concentration exceptionnelle, particulièrement remarquable pour une municipalité de taille moyenne en milieu rural.

Carte des immeubles cités par la ville de joliette – Conseil du patrimoine culturel du Québec

Le conférencier n’a pas caché les difficultés auxquelles l’administration municipale fait face depuis quelques années. Jusqu’en 2019, la Ville accordait plus de 450 000 $ en aide financière aux propriétaires de bâtiments patrimoniaux souhaitant réaliser des travaux de rénovation et d’entretien. Malheureusement, les sources de financement auxquelles la Ville a accès diminuent d’année en année, rendant de plus en plus difficile l’octroi du soutien nécessaire aux demandeurs.

Par ailleurs, les politiques patrimoniales en vigueur depuis plus d’une décennie doivent être révisées afin de mieux refléter les besoins et réalités actuels. Dans cette optique, la Ville est activement à la recherche de nouvelles sources de financement pour pallier aux manques actuels. L’année à venir sera également consacrée à la refonte de la réglementation et à la mise à jour des mandats externes, dans le but de consolider la vision municipale en matière de protection du patrimoine.

La Ville de Joliette a ainsi fait preuve de proactivité en élaborant des politiques ayant permis de préserver plusieurs bâtiments emblématiques, véritables symboles de fierté pour la communauté. Ces efforts témoignent de l’attachement profond de Joliette à son patrimoine immobilier.

Des résidences patrimoniales et des rencontres inspirantes

La deuxième journée du congrès fut consacrée à la visite de maisons anciennes, en compagnie de leurs propriétaires. Ces trois rencontres ont permis aux congressistes d’échanger, de partager leurs expériences et de s’inspirer des réalisations de propriétaires passionnés.

Nous avons eu la chance de visiter trois résidences d’exception : la maison William-Copping (1910, citée en 2016), la maison Hervé-Chiré de Cournard (1909) et la maison Hilaire-Alexandre-Cabana (1896). Toutes trois conçues par l’architecte Alphonse Durand, elles ont été soigneusement entretenues au fil des années par leurs différents propriétaires. Bien qu’elles partagent des styles architecturaux similaires, chacune se distingue par son caractère propre. De plus, les travaux de rénovation témoignent des goûts, des besoins et de la sensibilité de leurs occupants actuels.

Visite de la maison William-Copping – Jean Chevrette

Ces visites ont démontré qu’il existe plusieurs façons d’aborder la restauration d’une maison patrimoniale. Il est possible de marier des éléments contemporains à des composantes d’époque, ou encore de conserver l’intégrité presque totale de la construction originale. L’essentiel est que la restauration respecte le style d’origine, la volumétrie du bâtiment et qu’elle s’appuie sur une recherche approfondie visant à comprendre son histoire. Les résultats, dans tous les cas, demeurent impressionnants.

Chaque propriétaire rencontré connaissait en détail les éléments historiques de leur demeure, les anecdotes des anciens occupants, et pouvait justifier les choix de restauration, les ajouts et les transformations réalisées. Ces échanges riches et authentiques ont permis aux participants d’apprécier encore davantage les efforts de conservation et la passion investie dans la préservation de ces bâtiments d’exception.

Ces exemples démontrent qu’un statut de protection patrimoniale ou l’inclusion d’une résidence dans une zone assujettie à un PIIA n’empêchent nullement d’y habiter pleinement ni d’y entreprendre des travaux de rénovation. Il s’agit plutôt d’un cadre permettant d’assurer que les interventions se fassent dans le respect de l’âme et de la valeur historique des lieux.


Une conférence en compagnie de François Varin

Le 23 octobre dernier a eu lieu la deuxième formation automnale de la FHQ, intitulée Patrimoine bâti au Québec : reflet de notre culture. Pour l’occasion, nous avons eu le privilège d’accueillir M. François Varin, architecte et expert conseil en conservation et en revitalisation du patrimoine bâti. Figure incontournable dans ce domaine, M. Varin a fondé en 1996 l’organisme Rues principales, dont il a été directeur général jusqu’en 2012. Il offre toujours ses services d’architecte à titre de travailleur autonome.

Au cours de sa conférence, il a été question de reconnaître la singularité du patrimoine bâti québécois, d’en identifier les éléments distinctifs et de comprendre les raisons pour lesquelles il est essentiel de le préserver. En somme, la présentation invitait à réfléchir à la manière dont le patrimoine bâti du Québec constitue un reflet de nos pratiques culturelles et de notre identité collective.

Parmi les éléments qui distinguent le patrimoine bâti québécois, M. Varin a souligné l’influence marquée des styles architecturaux français et britanniques, ainsi que leur adaptation au climat et au territoire du Québec. Ces adaptations, dictées autant par les conditions environnementales que par les ressources locales, ont mené à la création de styles architecturaux uniques.

Il a également mis en lumière les savoir-faire traditionnels développés au fil du temps, témoins de l’ingéniosité et du savoir technique des bâtisseurs d’ici. Enfin, M. Varin a rappelé que le patrimoine bâti québécois se distingue aussi par sa diversité régionale. Chaque territoire possède ses propres caractéristiques architecturales, ses techniques de construction particulières et l’utilisation de matériaux locaux qui témoignent du lien entre l’architecture et son milieu.

La fin de la conférence a été consacrée à l’importance de réaliser des projets de restauration réfléchis et bien documentés. Trop souvent, l’authenticité architecturale d’un bâtiment se perd au fil des changements de propriétaire ou des tendances populaires. C’est pourquoi la recherche documentaire constitue une étape essentielle avant d’entreprendre tout travail de restauration. Cette recherche peut s’appuyer sur des archives, des photographies d’époque, ou encore sur la généalogie des anciens occupants. À cet égard, les sociétés d’histoire et de patrimoine, gardiennes de ces connaissances, jouent un rôle crucial dans la préservation de l’authenticité. Elles deviennent ainsi des ressources précieuses et des alliées incontournables pour toute démarche de rénovation respectueuse du caractère patrimonial d’un bâtiment.

Plus de 80 personnes se sont inscrites à la conférence et ont pu bénéficier de l’expertise et des connaissances de M. François Varin. Une participation qui mérite d’être soulignée, puisqu’elle témoigne de notre attachement profond envers le patrimoine bâti. La conférence est disponible à la réécoute pour les organismes membres depuis votre espace membre!

Si le patrimoine bâti vous passionne, restez à l’affût de nos communications! La FHQ prépare actuellement une série de conférences portant sur divers aspects du patrimoine bâti. Un rendez-vous à ne pas manquer en mars 2026!

Pour toutes questions, n’hésitez pas à m’écrire à l’adresse suivante: lfleury@histoirequebec.qc.ca